Depuis le printemps, la situation des professionnels de la culture est de plus en plus critique. Dans cette filière, considérée comme « non essentielle », tous les acteurs s’inquiètent. Enquête
Auparavant, Olivier Contat a produit des CD avec un groupe ; désormais, il enseigne la musique mais compose toujours dans le domaine de la « musique à l’image« , commandée par des entreprises pour la partie sonore de vidéos. Il a dû complètement s’arrêter dès le premier confinement. Il a repris les cours avec le déconfinement, en voyant son activité réduite de deux tiers. Mais, de nouveau, et malgré une commande de musique qu’il qualifie d’exceptionnelle dans le contexte actuel, le musicien indique « je ne peux plus rien faire« .
Autoentrepreneur, Olivier a pu bénéficier d’une petite aide, mais qui ne lui permettra pas de tenir longtemps. Il se montre alors pessimiste pour l’avenir : »si l’on peut de nouveau circuler je retrouverai mes clients, mais combien ? Et si cela perdure, je serai obligé de me tourner vers une reconversion : pas d’autre solution. »
Des situations inconfortables
Salariée de La Tannerie (la seule « SMAC » de l’Ain : Scène Conventionnée de musiques ACtuelles), Julie Rudelin est chargée d’action culturelle pour la sensibilisation des » publics empêchés » (détenus, handicapés mentaux, jeunes en difficulté … ) à la culture et, plus particulièrement aux musiques actuelles, par le biais de la médiation, l’éducation populaire et d’ateliers (on l’a ainsi vu faire profiter les Dromignons de ses compétences ! ).
Le premier confinement a stoppé son activité, puis il a fallu rattraper les actions non réalisées sur les budgets alloués mais, de nouveau, tout arrêter. Le seul projet qui restait possible a dû être reporté. Quant aux restitutions de projets terminés, elles sont reportées à des dates non connues, les dénuant de leur sens.
Actuellement, Julie est en télétravail, « mais sans aucune visibilité« . En effet, gérant des budgets alloués par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), elle doit rattraper les projets non réalisés pour 2020, tout en mettant déjà en place ceux de 2021 : il manquera du temps, ce qui générera des annulations.
Du côté de la programmation de spectacles, la Tannerie espère un retour des concerts en juin 2021, mais il faut, là, attendre de connaître des dates pour remettre des projets en route.
Julie reconnaît sa chance d’être salariée et d’avoir un métier passionnant, mais indique « travailler dans la frustration et l’inconfort« .
Côté scène, morosité ambiante et grosses incertitudes aussi pour les artistes et techniciens bénéficiant du statut « d’intermittents du spectacle« , qui subissent aussi de plein fouet l’arrêt de la vie culturelle.
Hélène Péronnet et Gérald Chagnard, musiciens, montent des actions culturelles ponctuelles pour tous publics, participent à des résidences d’artistes et promeuvent d’autres formes artistiques. Ils font aussi partie d’une compagnie (l’arbre Canapas), qui crée et organise des spectacles.
Mars a connu un faible taux d’annulations avec beaucoup de reports pour l’automne et pour 2021, et un bon suivi avec les lieux de collaboration (comme le théâtre de Bourg). Du fait des petites jauges, l’activité a bien repris en été : balades musicales dans la nature, résidences d’artistes, répétitions, concerts en septembre et octobre où ils ont ressenti une grande envie du public.
Des artistes sans public
La seconde vague a été plus complexe (14 concerts prévus en novembre sont reportés) ; les répétitions et enregistrements sont possibles, mais les spectacles non joués « il manque le rapport au public« .
Au printemps, ils ont pu bénéficier de chômage partiel avec leur compagnie. « C’est une chance : elle n’est pas trop petite et assez structurée, et a pu bénéficier d’aides pour le personnel « . Par contre, ce n’est désormais » pas très gai : les équipes sont fatiguées« . En effet, il faut continuellement s’adapter à la situation, ce qui double le travail administratif. Il y a toujours des projets en cours, les actions vers les enfants sont encore possibles, mais « la suite est fragilisée : il risque d’y avoir embouteillage de spectacles ! « .
Enfin, les mesures d’urgences décidées prolongent leurs indemnités . . . mais après ?
Les gros spectacles pénalisés
Jérome Gros est ingénieur du son depuis 25 ans et travaille plutôt sur de grosses jauges (par exemple, les Francofolies, qui attirent 150 000 festivaliers sur cinq jours) ; il n’a plus de travail depuis son dernier concert, le 12 mars. Avec le confinement, puis les notions de jauge, revues à la baisse, puis le couvre-feu, toutes les dates, tous les festivals ont été annulés. Grâce à un contrat avec un théâtre lyonnais, il a pu bénéficier de chômage partiel jusqu’à fin juin.
Il n’a désormais aucune visibilité, « c’est dur de se lancer dans un projet, il n’y aucune perspective : les producteurs ne prennent plus rien avant septembre 2021« .
Il voit aussi ses indemnités prolongées mais, en l’absence de travail, les droits ne se reconstituent pas ! Par exemple, « en cas de reprise en janvier, il n’y aurait que six mois d’activité pour reconstituer les droits de l’année suivante« . Pessimiste, Jérôme espère qu’il y aura d’autres mesures, sinon « il y aura beaucoup de monde à la trappe« . Certaines entreprises annexes commencent à fermer (location de matériel) : « elles ne peuvent pas tenir, malgré les aides« .
Repères Les » intermittents du spectacle » sont des artistes ou des techniciens embauchés sous contrats à durée déterminée. Soumis à une cotisation supplémentaire, ils bénéficient d’allocations chômages suivant des critères de nombre d’heures travaillées. Ces indemnisations sont exceptionnellement prolongées jusqu’au 31 août 2021, mais un examen spécifique de renouvellement des droits devra être effectué au 1er septembre 2021 . . . en fonction des hypothétiques cotisations versées d’ici là ! |
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