La configuration du sous-sol de la vallée de Drom est particulière : il est constitué d’un réseau karstique, avec de l’eau, plus ou moins stagnante ou en circulation, et un fond imperméable. (rappelons l’éthymologie de DROM : les eaux stagnantes). De ce fait, en fonction des épisodes pluvieux, de leur importance tant en volume qu’en durée, l’histoire de la vallée n’est qu’une succession d’inondations et de sécheresses : “Trop d’eau ou pas assez“, écrivait en 1808 le Préfet Bossi.
Promenons-nous un instant dans les archives
En 581 : « Les Gaules furent ravagées par les eaux et, d’un bout à l’autre de la vallée de Drom, ne se présentait qu’un grand lac »
En 1697, « les eaux ont été si grandes que, de mémoire d’homme, on n’en avait jamais vu en si grande quantité, ni si hautes ; l’inondation a duré du 20 juin à la St Christophe » (soit le 25 juillet).
En 1718 : sécheresse, ainsi qu’en 1719, du 10 mai au 15 novembre.
En 1790, dans le registre du conseil de la commune : « La cause principale de la mendicité dans notre commune vient de ce que les eaux nous inondent presque tous les ans » (il est constaté que, sur 450 habitants, 10 personnes « vont mendier leur pain tous les jours ».
En 1840 : les 30 octobre et 1er novembre, des pluies torrentielles s’abattent sur la vallée, qui devient un lac où l’on circule en bateau (quatre « ports » sont aménagés : vous pourrez retrouver la trace de deux d’entre eux dans les noms des rues du village) ; à partir du 15 décembre, l’eau « disparait » sous une couche de glace de 15 à 20 centimètres d’épaisseur. Il faut attendre les premiers jours de février 1841 pour revoir la terre. Quelques maisons se sont écroulées, on déplore une personne noyée et d’énormes pertes matérielles. Un élan de solidarité locale et nationale permet aux habitants (et à d’autres sinistrés, particulièrement en Val de Saône) de recevoir des fonds et des marchandises (linge, bois, farine …).
Le niveau d’eau est visible entre les fenêtres de la salle polyvalente (notons aussi que c’est cette même année que ce bâtiment a été mis en service ! )
On peut encore citer 1852 (août et septembre), 1856 (du 10 mai au 10 juillet), 1868, 1896, 1935 ,1983 et 1993, 2002. On estime à plus de 150 hectares les surfaces inondées (soit un cinquième de la surface communale).
Par contre, en 1870, c’est une sécheresse qui frappe la commune de mai à juillet : il faut aller jusqu’à Meillonnas pour chercher de l’eau.
De l’idée aux démarches
En août 1852, pendant les inondations, le Maire de Drom sollicite le Préfet pour « faire nommer une commission chargée d’examiner s’il serait possible de faire écouler les eaux de la vallée si souvent inondée ». En effet, il a, depuis longtemps, imaginé que la solution consisterait à réaliser un canal dans la vallée, puis un tunnel sous la montagne de Javernaz en direction de la « source intermittente de Rochefort », dans la vallée voisine du Suran.
Le premier rapport de l’ingénieur du service hydraulique, en date du 30 octobre 1852, présente les phénomènes de la vallée de Drom où des résurgences peuvent créer « des colonnes d’eau de 5 à 6 pieds de hauteur (1,50m. à 1,80 m.) et constate que la source intermittente de Rochefort « présente absolument les mêmes phénomènes que ceux observés dans la vallée de Drom : l’eau y jaillit également par gerbes de 1 à 2m. de hauteur, et l’écoulement cesse avec (la fin de) l’inondation de Drom ». Repérant les points les plus bas de la vallée, il préconise alors d’y faire converger les eaux par une tranchée de 900 mètres (d’une section carrée de 2 m. sur 2), puis de les faire évacuer vers Rochefort, 15 m. plus bas, par un tunnel de 1350 ou 980 mètres (suivant le point de départ choisi).
Un rapport « favorable » est adressé par le Préfet au Ministre des Travaux Publics, qui répond le 05 janvier 1853 que « les travaux d’assainissement consisteraient dans le percement d’un tunnel qui coûterait environ 50 000 francs à l’Etat et autant à la commune de Drom ». Pour avoir un ordre d’idée, le budget de la commune est alors d’environ 3 000 Francs . . .
On entre alors dans la phase classique (déjà ! ) des échanges administratifs, études, comparatifs . . .
Les services de l’Etat retiennent le tracé de 980 m., moins coûteux, mais qui nécessite la réalisation d’un canal, en amont, et ce malgré l’insistance du maire qui essaye par tous les moyens de convaincre que le tracé de 1 380 m. serait le plus efficace. Ce dernier obtient toutefois l’assurance que « une fois le tunnel percé, les tranchées ne resteraient pas à faire » . . .
Des essais infructueux . . .
Mais, sachant l’impossibilité pour la commune de subvenir à sa part de la dépense, il était décidé de tenter une autre solution. Ainsi, partant du principe qu’il y avait une communication souterraine entre les deux vallées, il est alors imaginé de plutôt creuser un puit de chaque côté de la montagne pour créer un effet de siphon. Des travaux débutent ainsi en avril 1855 du côté du Suran : le puits semble avoir des effets bénéfiques en février 1856. Entre juin 1856 et octobre 1857, on entreprend alors le creusement d’un autre puits côté Drom, et l’on tombe sur une nappe d’eau : on a trouvé le légendaire « lac sous Drom » ! (en réalité, une vaste poche d’eau).
Mais les résultats ne sont finalement pas si concluants.
Enfin, la percée !
Il faut alors l’intervention du député (le Comte Le Hon), en janvier 1858, pour débloquer des premiers fonds : 6 000 Francs (l’ancêtre de la réserve parlementaire ? ) : les travaux de percement du tunnel débutent par l’aval en 1859 !
En 1862, le tunnel traverse une faille. Pendant une période d’inondation, les ouvriers entendent un grondement : ils ont le temps de s’enfuir avant que les eaux souterraines n’envahissent la galerie !
En octobre 1868, le tunnel atteint bientôt 600 mètres . . . et l’on pense qu’il faut acquérir le terrain où il débouchera en amont, sur la commune de Ramasse !. Ce qui est fait en novembre 1868 par l’Etat (il était temps : le tunnel est terminé en 1869 ! ).
Le tunnel a alors coûté 106 584,84 F. ; l’Etat a finalement participé à hauteur de 93 200 F., la Préfecture pour 4 000 F. . . . et la commune pour tout le reste, « tant par impositions extraordinaires, que par souscriptions, journées volontaires, prestations, etc. ».
Reste le canal !
Alors, dès janvier 1869, M. le Maire de Drom sollicite M. le Préfet pour la deuxième tranche de travaux : les tranchées pour faire converger les eaux vers l’entrée du tunnel !
Bien ficelé, le projet est soumis à « l’administration supérieure » en juin 1870. Mais, en juillet, la guerre vient annuler tous les espoirs !
Si le tunnel est déjà partiellement efficace grâce à la faille, les inondations sont toujours présentes dans la vallée. Mais la décision ministérielle du 20 mars 1872 précise que l’Etat ayant déjà largement contribué à la réalisation du tunnel, le projet de canal, bien qu’approuvé, devrait être financé par les propriétaires concernés avec l’aide, désormais, du Département. Le 23 août 1873, le Préfet décide qu’« il y a lieu d’ajourner à une époque plus favorable la suite à donner au projet de canal d’assainissement de la vallée de Drom ».
En 1877, puis encore en 1901, des plaintes sont enregistrées de la part de propriétaires de terrains en aval du tunnel : il est admis qu’un canal serait nécessaire jusqu’au Suran. De plus, des réparations sont nécessaires à l’embouchure du tunnel.
Un courrier de l’Etat, en date du 19 mars 1902, propos des financements en contrepartie de l’engagement de la commune de Drom d’acquérir les terrains concernés et de prendre l’entretien de l’ensemble des ouvrages, ce que la situation financière de la commune ne lui permettait pas. La question de la responsabilité n’était donc pas résolue : le tunnel de Drom démarrait à Ramasse sur un terrain de l’Etat, pour sortir à Villereversure dans une parcelle communale, les eaux s’écoulant ensuite sur des parcelles privées. Ce dernier courrier est à l’origine d’une croyance locale tenace (encore de nos jours) à Villereversure, sur la charge des « eaux de Drom » à Villereversure . . . (mais rien sur les “eaux de Simandre ? )
(Délibération du conseil municipal de Drom qui ne peut s’engager dans de telles dépenses – 12 juillet 1902)
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En 1963, la commune adhère au tout jeune Syndicat du Suran : elle n’est pas dans la vallée du Suran, mais dans son bassin versant, concernée par sa rivière intermittente, affluent du Suran par l’intermédiaire du tunnel. Ce même syndicat permettra de réaliser plusieurs fois divers travaux d’entretien du tunnel ; surtout sur son embouchure.
En 1994, la commune de Drom restaure l’entrée du tunnel, dégage l’escalier d’accès, installe un garde-fou désobstrue l’entrée, reconstitue les murs de soutènement, dans le cadre des projets de la charte d’écologie rurale du Revermont.
Suite aux inondations de 1993, et ayant un projet de réaliser un système d’assainissement collectif des eaux usées, la commune de Drom réouvre le dossier du canal !
Présenté en décembre 1994, le projet présente le même tracé que celui de 1852, mais uniquement dans la partie aval du village. Il consiste, en réalité, à écrêter des seuils pour créer une ligne continue de fil d’eau entre le village et l’entrée du tunnel ; les travaux ne concernant ainsi que 130 mètres linéaires en plusieurs portions (de 20 cm à 4,70 m de profondeur). Par contre, de son point de départ (sous la rue du Canal ! ) à la première marche du tunnel, l’eau parcourt 2 900 mètres avec un dénivelé de 6,40 mètres. La commune de Drom se rend alors acquéreur de tout le tènement foncier autour du départ du tunnel.
Réalisé par le Syndicat du Suran, le canal de Drom a été inauguré le 10 novembre 1997, soit 145 ans (et trois guerres) après le projet initial ! S’il peut toujours y avoir des inondations dans la vallée de Drom, leur niveau est désormais limité et maîtrisé.
Sujet à critiques et controverses avant sa réalisation, il a toutefois déjà prouvé son utilité le 25 novembre 2002 : plus de 140 000 m3 d’eau l’ont ainsi emprunté lors d’une inondation où, désormais, plus aucun bâtiment n’est menacé.
Et les « abords » ?
Le canal aval, qui existait probablement avant le tunnel, pour l’évacuation des eaux des « Sources intermittentes de Rochefort » !
Quant à l’aménagement de la partie aval, de l’embouchure au Suran, un projet précis a aussi été étudié en février 1997, portant sur la réfection d’une petite portion de canal existant et solutionnant les questions foncières et d’entretien . . . mais il a été rayé de l’ordre du jour de la réunion du Syndicat du Suran par M. le Maire de Villereversure lui-même ! Comme en 1874 pour le projet de canal en amont du tunnel, il semble tombé dans les oubliettes . . .
En 2001, le sentier d’interprétation karstique « Les Chemins de l’Eau » est réalisé par l’ATR, Association Touristique du Revermont, avec plusieurs partenaires (dont le Club Spéléo de l’Ain), qui se termine au tunnel.
Revenons en arrière avec le rapport de 1871 : on y trouve une démonstration hautement mathématique prouvant que l’on peut améliorer l’efficacité du tunnel . . . . en élargissant la faille !
Sans savoir cela, mais parce qu’ils mourraient d’envie d’aller voir plus bas, les spéléos ont secrètement procédé à cet élargissement, en 2012 !
. . . ils en ont effectivement rapporté d’intéressantes observations.
Même si la convergence de plusieurs causes est à mettre au crédit de cette évolution, force est quand même de constater que les résurgences et les montées des eaux dans les dolines de Drom sont moins fréquentes et d’ampleur et de durées désormais moindres !
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De nos jours, le canal amont est entretenu par la commune avec la collaboration du syndicat de rivière, et les questions de visite et de responsabilité du tunnel, devenu lieu de visite, de promenade, d’éducation à l’environnement, sont régies par une convention entre la commune de Drom, maître de l’ouvrage, celle de Ramasse, ou se situe l’entrée, celle de Villereversure, où se situe la sortie, et l’AGEK, Association de Gestion des Espaces Karstiques. Pour faciliter l’accès au tunnel dans des meilleures conditions de sécurité, un escalier a été installé en 2016, et inauguré en 2017.
(Merci à Michel GEOFFRAY (AGEK) pour les relevés topographiques souterrains)